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17/12/2024
Adieu le Pacte vert, bonjour la “vision”
Du 10 au 12 décembre 2024, la Direction Générale de l’Agriculture a organisé à Bruxelles les “Agri-Food Days” qui se veulent l’événement annuel européen de l’agriculture, à l’équivalent politique de la Semaine Verte à Berlin ou du Salon International de l’Agriculture à Paris. Cette manifestation initialement inspirée par l’Agricultural Outlook Conference organisée par le Ministère américain de l’agriculture, ne se borne plus à la présentation des perspectives à moyen terme, mais décline dans un format de show télévisé différentes thématiques pour une audience de milliers de participants présents à Bruxelles ou en ligne.
L’ouverture des Agri-Food Days 2024 a donné l’occasion à la présidente de la Commission, dans un message enregistré, et au nouveau commissaire à l’Agriculture, le luxembourgeois Christophe Hansen, d’adresser les messages politiques qui esquissent la feuille de route de la nouvelle mandature. En effet, dans les 100 premiers jours de celle-ci, la Commission présentera sa “vision pour l’agriculture et l’alimentation de l’Union européenne”. Une vision qu’elle souhaite partagée avec l’ensemble des parties prenantes, dans l’esprit du Dialogue stratégique pour le futur de l’agriculture et l’alimentation, dont les conclusions ont été présentées en septembre dernier, en plaçant les agriculteurs au centre de cette nouvelle orientation. Il n’est désormais plus question de la stratégie du Pacte Vert, ni de Farm to Fork dont les termes sont restés significativement absents des discours de la Présidente Ursula von der Leyen et du Commissaire qui, lui-même, avait déclaré la veille lors du Conseil Agriculture et Pêche que “ce mandat était une opportunité pour tourner la page, et entreprendre à zéro une nouvelle approche”. Que faut-il entendre de cet effacement des lignes d’action qui ont prévalu au cours du précédent mandat ? Si le principe de l’octroi des aides reste le socle de la PAC, la volonté d’alléger le fardeau des contraintes supportées par les producteurs laisse encore difficile le décryptage des révisions à venir quant à la réduction de l’usage des intrants ou aux mesures de protection de l’environnement, et à la contribution de l’agriculture à la lutte contre le changement climatique. Par ailleurs les panels d’agriculteurs ou de représentants des organisations professionnelles laissaient percer la petite musique de révision des conditions d’éligibilité des aides et de leur plafonnement.
Sous l’égide des travaux réalisés par le Centre Conjoint de Recherche (JRC) de la Commission et à la suite de la publication en 2023 de “Digital transition : long term implications for EU farmers and rural communities“, la journée du 12 décembre des Agri-Food Days a été consacrée à une série de présentations, de panels et discussions. En attendant la publication prochaine d’une étude sur un état des lieux plus précis, les exposés et discussions ont mis l’accent sur la lenteur d’adoption des technologies numériques du fait de leurs coûts, de l’aptitude des acteurs à s’en saisir, mais également des impossibilités de connexion dans les zones rurales non encore couvertes.
Enfin, la publication du “Rapport annuel des perspectives à moyen terme de l’agriculture (2024-2035)” a donné l’occasion de mettre à jour les grandes tendances d’évolution de l’agriculture de l’UE-27 dans un exercice académique de projections modélisées, toute chose restant égale par ailleurs, et qui en aucun cas ne représente une prévision. Tout en considérant les limites d’interprétation des résultats, il est intéressant d’analyser ce que seraient les tendances d’évolution à PAC inchangée :
- une stabilité des surfaces dédiées à l’agriculture et aux forêts ;
- une progression marginale des rendements en céréales, dont la production resterait stable et les exportations en augmentation du fait de la réduction des usages fourragers ;
- une stabilité des rendements en oléo protéagineux, avec une croissance de la production en soja et légumineuses contrebalancée par une réduction en colza, et baisse des importations due à la diminution de la demande ;
- une réduction de la production de sucre (surface et rendement en baisse) sous la pression de prix bas et d’une baisse de la consommation ;
- une très faible baisse de la production laitière pour laquelle la réduction du cheptel est quasiment compensée par la progression des rendements ;
- une poursuite de la baisse de la production de viande bovine parallèlement à la réduction de la consommation ;
- une faible baisse de la production porcine dans le contexte d’une réduction des importations asiatiques, tandis que la production de volailles poursuit sa progression favorisée par l’augmentation de la consommation, étant le seul segment de la consommation des produits carnés en croissance ;
- des évolutions contrastées de la production des fruits et légumes portées par une augmentation de la consommation des fruits frais et des tomates transformées ;
- une réduction de la production viticole qui suit la tendance à la baisse de consommation de vins ;
- une baisse de la consommation des huiles d’olive et une progression de la consommation des olives de table ;
- le revenu agricole nominal serait stable sur la période 2024-2027, avant de croître à raison de 1,4% par an sur la période 2028-2035. Mais en termes réels, cela se traduirait par une dégradation au taux annuel de -0,6% sur la période 2028-2035, ce qui malgré tout impliquerait une légère augmentation (+0,2%) du revenu par unité de travail ;
- la poursuite de la baisse de la population active agricole, soit 6,9 millions d’unités de travail contre 7,9 millions en 2023, avec une progression du salariat (37% en 2035 contre 30% en 2023) ;
- les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture devraient baisser à raison de 4% pour l’oxyde d’azote et de 8% pour le méthane, du fait de la réduction du cheptel bovin et de la diminution de l’usage des engrais azotés, tandis que la séquestration de carbone devrait connaitre une progression annuelle significative de 8 millions de tonnes de CO2.
A la richesse des contributions et des informations diffusées lors des Agri-Food Days, il faut néanmoins apporter un jugement critique relatif au déroulement de cet événement : relevons de trop nombreux panels redondants avec les communications de fond, la prédominance de la langue anglaise alors que peu d’intervenants, tel Sébastien Abis, osent s’exprimer dans leur langue maternelle, le choix des agriculteurs appelés à intervenir concentré sur le modèle de l’exploitation agricole familiale à l’exclusion des modes émergents d’entreprise.
Contrairement aux versions précédentes de l’événement, les autres membres de la Commission et leurs directions générales n’étaient pas invités à prendre la parole, ce qui laisse à penser que l’intitulé du titre du Commissaire à l’agriculture et à “l’alimentation” présage d’une redistribution des cartes, notamment avec la DG Santé. Enfin le caractère politiquement correct des échanges imprime une tonalité sous-tendue par le virage pris par la nouvelle Commission en consacrant l’abandon du Pacte Vert au profit d’une “vision pour le futur de l’agriculture européenne” qui reste à définir.