Articles
Temps de lecture : 3 min
14/02/2025
Charité bien ordonnée commence par soi-même
En signant le 20 janvier 2025, à son arrivée à la Maison Blanche une série de décrets, Donald Trump a en particulier ordonné la suspension de tous les programmes d’aide à l’étranger pour une durée de 90 jours. Immédiatement le milliardaire Elon Musk en charge du DOGE ( Department of Government Efficiency) a chargé ses hommes de main de s’attaquer à l’USAID (Agence américaine pour le développement international), d’en neutraliser le système informatique et de fermer l’accès de l’Agence à son personnel. Pour lui, l’USAID est une “rganisation criminelle qui doit mourir”.
Comment expliquer une telle charge contre l’un des instruments du “soft power” des États-Unis dans le monde ? Créée en 1961 sous la présidence de J.F. Kennedy, l’Agence disposait en 2024 d’un budget de plus de 40 milliards de dollars pour déployer avec ses 10000 employés des programmes humanitaires dans 158 pays. Chargée d’aider à réduire la pauvreté, de promouvoir la démocratie, de favoriser le développement économique, de venir en aide aux victimes des catastrophes naturelles et de prévenir les conflits, l’USAID était jusqu’ici à hauteur de plus de 40% l’acteur mondial le plus important de l’aide humanitaire, tant en ce qui concerne l’aide alimentaire que l’assistance médicale. Dans le cadre de la stratégie MAGA, “Make America Great Again“, doublée de la volonté de réduire le déficit du budget américain, on comprend que l’USAID puisse être une cible prioritaire. Établie dans un esprit de coopération nord-sud, en ligne avec des initiatives charitables tournées vers le tiers monde, elle répond aux aspirations de solidarité internationale promues traditionnellement par le parti démocrate, alors que l’aile conservatrice du parti républicain dans un état d’esprit qu’en France on qualifierait de “cartiériste”, prône d’attribuer les financements correspondants à des programmes au bénéfice des américains eux-mêmes. Mais paradoxalement, ce qui peut satisfaire les attentes de l’électorat favorable aux idées du nouveau président remet en cause la stratégie hégémonique des États-Unis dans le monde. En effet l’USAID a été pendant plus de soixante ans l’un des instruments puissants de la politique étrangère des États Unis, en particulier dans les pays en voie de développement, et certaines de ses actions fortement critiquées ont eu pour but d’intervenir directement dans la gouvernance des pays aidés. Par ailleurs qu’il s’agisse de l’aide alimentaire ou de l’aide médicale, les programmes de l’USAID bénéficient directement à l’économie américaine dès lors que les “farmers” ou l’industrie pharmaceutique américaine en sont les fournisseurs.
Tandis qu’Elon Musk ambitionne de ramener les effectifs de l’Agence à 611 employés, l’USAID est désormais rattachée au Département d’État, équivalent d’un ministère des Affaires Étrangères, dont le ministre Marco Rubio a obtenu la poursuite de quelques actions en cours. Mais la suspension pour un trimestre de l’essentiel des activités de l’USAID, accompagnée de la menace de sa disparition totale s’inscrit dans un contexte géopolitique mondial dans lequel on a du mal à discerner la cohérence de la stratégie conduite par le nouveau locataire de la Maison Blanche. Certes la nouvelle initiative du Président Donald Trump de mettre fin au conflit russo-ukrainien dans une négociation bilatérale avec le Kremlin, sans y associer l’Ukraine et l’Union Européenne, correspond à la volonté de ne plus financer la défense militaire ukrainienne, mais également l’aide humanitaire dont Kiev a représenté le budget le plus important de l’USAID. Mais il en va tout autrement pour ce qui concerne les relations sino-américaines. En prévoyant de se retirer de tous les pays où l’Agence intervient, et en particulier de ceux en situation de crise ou de conflits au Moyen Orient et en Afrique, Washington ouvre un boulevard pour les interventions chinoises de toute nature. Ce retrait de l’aide américaine, comme l’attitude nouvelle vis-à-vis des organisations internationales (sortie de l’OMS, poursuite du gel du fonctionnement de l’OMC, menaces de retrait de certaines institutions des Nations Unies telles que l’UNESCO, l’UNWRA, etc..) permettent à la Chine d’étendre sa zone d’influence dans le monde et le contrôle de la gouvernance d’organismes multilatéraux comme c’est déjà le cas avec la FAO.
En prenant des mesures radicales pour satisfaire son électorat, Donald Trump et ses supporters privilégient l’agenda de la politique intérieure américaine, charité bien ordonnée commence par soi-même, sans en mesurer toutes les conséquences contre productives pour la politique extérieure des États-Unis, à moins de considérer que l’isolationnisme puisse être la bonne méthode du “MAGA” pour restaurer la grandeur du pays.